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Premiers accords, projets chiffrés. | Conditions d'un accord
La charge et les services des Monuments historiques ont été transférés du ministère de l'Intérieur au ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts dont le titulaire est alors Joseph Chaumié, sous la présidence d'Emile Loubet, septième président de la IIIe république Le 23 octobre 1902, une instruction ministérielle est adressée au préfet de la Corse. A défaut d'architecte délégué, un conducteur de travaux des Ponts et chaussées de Porto-Vecchio, A. Prospéri, est nommé « architecte désigné » pour la surveillance des travaux. Il sera le représentant de l'administration sur place. C'est lui qui doit faire le lien entre l'entrepreneur et le ministère. Il est supposé gérer administrativement l'évolution du chantier, il transmet les justificatifs au ministère et contrôle les sommes dont le montant a été ordonnancé et qui sont adressées au receveur municipal dont le poste est à Lévie. S'il n'a pas de compétence particulière concernant les monuments historiques, il a l'expérience des chantiers. Comme il s'agit de travaux dont la qualité artistique est primordiale il n'y aura pas d'appel d'offres concurrentiel suivi d'adjudication ; l'entrepreneur, qui devra être notoirement connu pour ses qualités en ce domaine, sera présenté par l'architecte désigné et agréé par le ministère. Un marché de gré à gré sera donc conclu entre le ministère et l'entrepreneur. Le projet concerne la restauration de l'église San Giovanni Battista et la reconstruction du campanile suivant les relevés faits sur la partie qui a résisté aux dégâts causés par la foudre et principalement la baie conservée au premier étage. Les services du ministère font savoir à l'architecte désigné, A. Prosperi2 de Porto-Vecchio, que l'Etat est disposé à prendre à sa charge environ les deux tiers de l'ensemble des travaux et que, par conséquent, la commune de Carbini, propriétaire des monuments, devra en assumer le troisième tiers. La commune possède bien les édifices mais aucun revenu qui lui permette de faire face à une telle charge. Elle compte environ 350 habitants, les exploitations sont familiales et les touristes ne se pressent pas pour admirer la cloche suspendue lamentablement à une perche à l'entrée de l'église. Il est inutile de faire appel au conseil de fabrique, la paroisse est d'une pauvreté biblique. L'administration accepte le principe suivant : la commune possède des matériaux, en l'espèce les ruines de San Quilico, qu'elle pourra fournir à l'entrepreneur pour la reconstruction du campanile, en y ajoutant des journées de travail bénévole consenti par les habitants. Personne, à ce moment, ne s'interroge, sur l'intérêt archéologique et historique que peuvent présenter les vestiges de San Quilico qu'on s'apprête à traiter comme un chantier d'extraction, sans ménagement pour le site. Et personne ne semble prévoir les difficultés qui vont surgir de cette combinaison bâtarde lors du règlement des comptes. Mais c'est sans doute la seule combinaison possible. L'architecte en chef Ballu, constatant la quasi-impossibilité de mener à bien cette restauration, a tenté d'annuler le classement M. H. mais il n'a pas été suivi, pour les raisons politiques qu'on imagine facilement. A la fin de l'été de 1902 le maire, Camille Nicolai, ouvre une souscription auprès des habitants de Carbini pour recueillir des promesses de journées de travail bénévole et inaugure la liste en se proposant lui-même pour 20 journées. Il récolte ainsi les promesses de 620 journées de travail bénévole (on n'en retiendra que 420), main d'œuvre non spécialisée mais utile pour la manutention. La souscription, sur papier timbré, est une caution destinée aux services du ministère ; sur 34 signatures on trouve 22 « Nicolai ». Surprise : la commune de Carbini avait constitué un pécule de 1 800, 07 francs qu'elle verse à la caisse du receveur municipal. On se demande comment elle a pu réunir une telle somme sachant, à titre comparatif, que la journée d'un charretier avec sa voiture et son cheval est payée 2, 60 francs en 1900, celle d'un maçon de 1ère classe 5, 00 francs ; probablement au cours des années d'attente qui ont précédé la restauration, ce qui montre une belle ténacité. On sait également qu'il est parfois possible de compter sur la générosité des Corses expatriés. Le 3 juillet 1902 un devis estimatif et descriptif d'un montant de F : 27 598, 43.- est adressé au service des Monuments historiques par Prospéri. Ce devis, selon un usage qui sera reconduit jusqu'à la fin du XXe siècle, est établi d'après la nomenclature de la « Série des prix » éditée par la Société centrale des architectes français. Selon la conjoncture, la Série des prix n'était pas publiée tous les ans ; la référence est ici celle de 1900. Pour des raisons ambiguës qui touchent à la concurrence, l'usage est aujourd'hui abandonné. Les travaux seront financés ainsi : F : 11 735, 00.- ministère (Beaux-Arts) F : 5 000, 00.- ministère (Cultes) F : 1 800, 07.- Carbini (espèces) F : 7 803, 36.- Carbini (matériaux) F : 1 260, 00.- Carbini (420 journées de travail) F : 27 598, 43.- Total Un entrepreneur local a été présenté par Prosperi : Sylla Nicolai de Carbini qui, curieusement, passe soumission le 26 août pour 6 308, 32 francs, soit approximativement le chantier de l'église. C'est peut être à rapprocher de l'esprit du projet initial de 1893 (cf. supra). Le projet de restauration se concrétise en même temps que le début de la confusion. Le devis de Prospéri est approuvé le 15 octobre 1902 par le directeur des Beaux-Arts au nom du ministre. Le même jour le ministre prend un arrêté par lequel les travaux feront l'objet d'un marché de gré à gré avec un entrepreneur présenté par l'architecte (Prospéri) selon l'ordonnance de 1837. La soumission de Sylla Nicolaï est réévaluée par le directeur le 16 octobre ; après déduction des « imprévus » et des honoraires de Prospéri, elle est portée à F : 26 284, 22.- et approuvée le 24 octobre. Sylla Nicolaï fait une mauvaise chute sur un chantier ou ailleurs, il se trouve indisponible. Le 24 janvier 1903, Sylla se désiste pour raison médicale. Vrai motif ou raison diplomatique ? La reconstruction du clocher dépasse-t-elle ses capacités ? A-t-il flairé la mauvaise affaire ?
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Note 2: Prospéri lui-même emploie un [é] mais Ballu le cite sans accent ; certains Nicolaï posent un tréma sur le [i] final, d'autres non.
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