Bilan de la restauration                

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    Le campanile est reconstruit

    « Le campanile isolé a été refait – et bien refait – par le service des monuments historiques à la fin du XIXe siècle.3  » écrivait Geneviève Moracchini rendant ainsi un hommage implicite à l'entrepreneur et à ses compagnons4. Elle n'avait pas connu Dominique Bartoli, mort en 1944, et tous les commentateurs ont repris cette date : « fin du XIXe siècle. », y compris l'auteur de la fiche signalétique dans la base de données « Mérimée ». On peut supposer que la date retenue était conditionnée par le classement en 1886 ou bien par celle des premiers plans de Ballu qui précède de treize ou quatorze ans les travaux. Bien refait, certes, mais, comme le note Mme Moracchini, avec un doute sérieux sur la forme pyramidale de la toiture. En somme, un penchant douteux de l'architecte Ballu lui aurait fait introduire dans la construction un toit néo-roman de contrebande à la place du toit plat crénelé de la tradition pisane.

    La légende

    Les légendes ne sont jamais négligeables, elles nous apprennent presque toujours quelque chose ; mais quoi ?
    Selon une tradition transmise oralement depuis près de mille ans, l'architecte d'alors, maestro Maternato, aurait construit un campanile en tout point admirable de sept étages et non de trois. Les habitants de Carbini, émerveillés, auraient décidé d'éliminer sur place ce constructeur hors de pair, dès la fin du chantier, pour qu'il ne construisît jamais ailleurs un aussi beau monument. Alerté par une indiscrétion, maestro Maternato fit chercher du renfort dans son village natal où sa famille constitua des otages en retenant la délégation. En attendant l'assurance d'un dénouement heureux, Maternato défaisait et refaisait chaque jour ce qu'il avait fait la veille pour retarder l'issue. Les otages ne furent libérés que lorsque ce bâtisseur inspiré et avisé fut libre lui-même et intégralement payé. La tradition des sept étages rappelle la symbolique des expressions proverbiales de la langue corse, où tout va par sept.5
    On pourrait également y reconnaître le caractère magique ou sacré du chiffre 7. Ou bien la concurrence avec la tour de Pise – c'est à dire le campanile de la cathédrale –, dont les sept étages, sensiblement contemporains, auraient fait de l'ombre à la fierté locale. Ou encore la référence archaïque à l'obsession phallique du pal érigé qui pouvait désigner, à lui seul, le lieu d'un temple païen.
    Quant aux dimensions supposées d'un campanile de sept étages, l'évaluation de Geneviève Moracchini, qui lui allouait timidement 25 mètres, est largement sous estimée puisque, avec ses trois étages actuels, il est proche de la trentaine de mètres. Il ne s'agit pas d'étages de HLM. Avec sept étages et un toit plat, il dépasserait donc 40 mètres – soit la hauteur de deux immeubles de six étages –, ce qui n'est pas vraisemblable sur une base carrée de 4,25 m de côté. D'ailleurs, un tel campanile étique et disproportionné ne semble pas conforme au sens de l'équilibre et de l'harmonie qui a présidé à la construction de l'ensemble et il n'est pas certain qu'il serait tellement plus visible.
    Albert Ballu semble avoir hésité sur la pose d'une croix en pierre taillée, surmontant l'édifice. On ne saurait dire si elle contribue à justifier la toiture ou si elle en accuse l'incongruité.
    Mais on peut se réjouir de la pose d'un paratonnerre à ruban (pour un montant de 300 francs) qui faisait cruellement défaut.

    L'église est restaurée

    Après la réfection des corniches et la mise en place d'une nouvelle charpente, la toiture de l'église est posée. Là, tout porte à croire que le budget alloué ne permettait pas une couverture en lauzes (les fameuses teghji) sans doute conforme à l'original et de même nature que le toit de l'abside, conservé ou complété, en granit gris. La couverture de l'église en lauzes aurait exigé un budget plus important pour l'approvisionnement, le transport, la taille et l'ensemble de la main-d'œuvre, l'aménagement du support tenant compte du poids du granit et la pose garantissant l'étanchéité. On ne sait pas s'il s'agit d'un défaut de jugement d'Albert Ballu, il est un peu tard pour l'accabler, ou de la lésine propre aux services ministériels qui ont cependant permis cette restauration de haut intérêt. Sans doute les deux avec l'arrière pensée d'y remédier plus tard.
    Il y a eu effectivement un projet en 1977, sous l'autorité de l'architecte en chef Yarmola, responsable pour la Corse, consistant à effectuer des consolidations et à réaliser la couverture de l'église en lauzes, par une entreprise J. J. Nicolai, de Furiani. Fin 1997, le dossier d'archives, très incomplet, ne comportait ni soumission ni devis descriptif ni correspondance ; un courrier adressé à M. Yarmola, pour de plus amples informations, est demeuré sans réponse. Sans doute était-il un peu tard, Yarmola est décédé peu de temps après.
    Soixante ans après la restauration, des consolidations étaient nécessaires. Les ancres des tirants avaient été remplacées en 1933 mais un mur latéral fléchissait sur sa base et on évoquait le béton armé.





    En mars 1934, une zone non aedificandi autour des monuments fut instaurée sous l'autorité d'Albert Chauvel (ACMH)



    Les parcelles 238 et 239 contiennent les églises.
    Le petit carré représente le campanile.
    La parcelle 237 entoure les monuments.

    Les parcelles 227 et 236 sont des terrains vagues.




Plan cadastral des abords en 1934
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    Dernier pèlerinage 

    En 1939, dans le beffroi du campanile, la charpente en châtaigner avait probablement souffert du poids et du balancement des cloches. Ce bois dense, presque imputrescible, avait-il atteint sa limite de longévité ? Ce n'est pas certain. Le bois avait été fourni par Carbini ; on penserait volontiers à un défaut de séchage préalable. Il fallait y remédier et on avait déposé les trois cloches pour reprendre la charpente. La pose des cloches, après travaux, donna lieu à une cérémonie.
    Dominique Bartoli, bâtisseur du clocher, âgé de 76 ans, se rendit à Carbini  où on l'avait convié pour l'honorer et peut-être aussi pour bénéficier de quelque conseil de dernière minute.
    L'homme de l'art retrouvait, avec une émotion certaine, ses souvenirs, quels qu'ils fussent.6

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    Note 3 : In Les églises romanes de Corse (2 vol.) thèse ; Paris CNRS 1967.
    Il s'agit d'une thèse d'Histoire de l'art (doctorat d'Etat) qui ne lui confère pas la qualification d'archéologue. G. Moracchini-Mazel, personnalité remuante et controversée, a le mérite d'avoir suscité, par son entregent et une certaine publicité, l'intérêt des Corses pour leur patrimoine archéologique, notamment chez les élus locaux, même si leur intérêt était… « intéressé ». En revanche, elle a été la bête noire des archéologues qui lui reprochaient ses datations hâtives et ses fouilles ouvertes et intempestives « en tranches napolitaines » (J. Jehasse). Un tempérament rebelle, en somme !
    Note 4 : Un certain Joseph Bartoli, sans lien avec l'entrepreneur, a travaillé sur le chantier comme tailleur de pierres.
    Note 5 : Le texte de ce paragraphe, écrit en 1997 pour un autre usage, a été utilisé à mon insu, sans mention de l'auteur (de surcroît, enrichi d'un solécisme), par Alexandre Marcellesi, qui n'a pas plus d'égard pour la propriété intellectuelle que pour la vérité. Ce texte figure abusivement en quatrième page de couverture d'une brochure promotionnelle touristique publiée en 2009, sur les Giovannali.
    Note 6 : Enfant, j'accompagnais mon grand-père à cette cérémonie ; j'en garde le souvenir confus d'avoir été oublié au milieu d'un désert où quelques personnes agitées regardaient en l'air.

Dominique Bartoli, à Sainte-Lucie, au début des années 1930

Monuments restaurés. Bilan.
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